- AMOUR SACRÉ (iconographie)
- AMOUR SACRÉ (iconographie)AMOUR SACRÉ, iconographieLes Amours, multipliés par l’imagination des artistes antiques, ont eu une grande fortune auprès des peintres et sculpteurs chrétiens.La Fête de Vénus fut très vite l’un des plus célèbres tableaux de Titien, admiré, copié et imité par des générations d’artistes. Poussin, qui pouvait le voir dans la collection Aldobrandini, à Rome, lui a rendu plusieurs fois hommage, en particulier dans deux Bacchanales d’enfants peintes vers 1626 (naguère dans la collection Incisa Della Rocchetta, récemment acquises par la Galleria nazionale d’arte antica de Rome). C’était l’époque où Cassiano dal Pozzo, collectionneur lettré et amoureux de toutes les traces laissées par l’Antiquité, réunissait dans sa maison de Rome un cercle de jeunes artistes et d’érudits dont l’influence a été considérable. À côté de Poussin on y trouvait le sculpteur flamand François Duquesnoy, qui devint un spécialiste des scènes de putti . Les Amours de Duquesnoy nous offrent souvent une version christianisée de ceux de Titien. Dans les tombes sculptées de Santa Maria dell’Anima, à Rome (tombes de Adrien Vryburch, 1629, et tombe de Ferdinand van den Eynde, 1633-1640), les putti ailés qui dévoilent les inscriptions funéraires sont, apparemment, de petits anges. Le sentiment chrétien de la mort s’exprime dans un langage dont les éléments sont pris à l’héritage gréco-romain. Les anges du Concert qui décore l’autel de la chapelle Filomarino (Santi Apostoli, Naples, 1642), sont de petits enfants qui cabriolent; ils ne diffèrent en rien des acteurs d’une Bacchanale .Le passage entre les représentations païennes de l’Amour et l’interprétation chrétienne du thème s’observe avec une clarté particulière dans les fresques d’Annibal Carrache au palais Farnèse (1597-1604). Dans les quatre angles de la célèbre galerie apparaissent des enfants ailés qui luttent deux par deux. Leur présence n’a pas une simple valeur décorative; il faut au contraire y voir la clef de tout l’ouvrage. Le peintre a représenté là, sous différents aspects, la lutte entre l’amour sensuel et l’amour épuré, suivant une tradition que l’on doit faire remonter jusqu’à Platon. On s’étonne parfois qu’un prince de l’Église comme était le cardinal Odoardo Farnese ait fait exécuter pour son palais un décor illustrant force scènes galantes. C’est l’idée générale du combat entre les deux amours qui permet d’interpréter tous ces épisodes mythologiques, en eux-mêmes peu édifiants. La lutte se termine, non par l’écrasement, mais par l’apaisement des passions, et les images perdent alors leur caractère lascif pour l’âme purifiée qui les contemple.La moralisation des Amours païens prend un aspect moins complexe dans les nombreuses gloires dont les artistes du XVIIe et du XVIIIe siècle ont décoré les églises. L’exemple le plus remarquable est celui de la chaire de saint Pierre. Bernin y travailla de 1657 à 1666. Au-dessus des quatre Pères de l’Église qui donnent l’impression d’avancer vers le baldaquin en escortant le trône du premier pape, une immense assemblée d’anges, modelés dans le stuc doré, palpite et rayonne au milieu de la lumière filtrée par le vitrail central. La distance à laquelle le spectateur est tenu et le fourmillement des figures sont tels qu’aucun détail n’est perceptible. Un immense et confus sentiment d’allégresse s’exhale de cette gloire, produisant le même effet qu’une foule qui chante en chœur.Chez des artistes moins brillants que Bernin, les gloires peuplées de petits anges ont vite fait de tourner à la formule convenue, quand ce n’est pas au remplissage. Parmi les beaux exemples qui se rencontrent encore au XVIIIe siècle, on peut citer à Paris la gloire sculptée par Falconet à l’église Saint-Roch (1755). À la même époque, Boucher se fait une spécialité des scènes de putti. Plusieurs recueils d’estampes publiés entre 1740 et 1760 nous montrent des groupes d’enfants gracieusement assemblés sur les nuages. Il ne faut plus chercher ici qu’un divertissement. En 1761, devant peindre un carton de tapisserie représentant les génies des arts, Boucher a rassemblé encore une fois tout un peuple d’Amours ailés, dont les uns jouent avec des crayons à dessiner, d’autres avec une palette, d’autres encore avec un ciseau de sculpteur, dans un harmonieux désordre et une lumière irréelle (musée d’Angers). Ces Amours-là n’expriment rien par eux-mêmes. Le sens de l’œuvre est livré par les instruments au milieu desquels ils évoluent. Les enfants sculptés par Bouchardon sur la fontaine de la rue de Grenelle, à Paris (1740), ne sont, de même, que les porteurs d’une idée abstraite, les saisons de l’année, rendue sensible par des attributs: fleurs, gerbes de blé, grappes de raisin et feu.On se rappelle les sarcasmes de Diderot devant le Groupe d’enfants dans le ciel exposé par Fragonard au Salon de 1767. « Belle omelette... fricassée d’anges». Depuis l’époque de Titien, le thème des Amours avait singulièrement perdu de sa signification. À l’époque des Lumières, la joie et le malheur, l’ivresse sensuelle et l’extase mystique ne s’expriment plus par les détours de langage qui plaisaient aux hommes de la Renaissance et de l’âge classique. Dans le groupe célèbre de Bernin à Santa Maria della Vittoria, à Rome (1647-1650), L’Extase de sainte Thérèse , l’ange au doux sourire qui perce de sa flèche le cœur de la religieuse a provoqué, par son ambiguïté, bien des réflexions narquoises et en provoque encore. Amour chrétien ou amour profane, ange ou Cupidon déguisé? L’amalgame de l’héritage antique et de la tradition chrétienne ne s’observe jamais mieux que dans ces représentations de l’Amour, ou des Amours, auxquelles nous avons tort de n’accorder aujourd’hui qu’un regard distrait.
Encyclopédie Universelle. 2012.